dimanche 21 juin 2015

Interventions de Béatrice Fleury et Jacques Walter

Compte rendu du 11 avril 2015 : Interventions de Béatrice Fleury et Jacques Walter
Nous nous sommes retrouvés ce matin du 11 avril à la salle Louis Nodon de Vernoux pour assister à la présentation du travail de Béatrice Fleury et Jacques Walter dans le cadre du projet « Mémoires de clandestinités », en passe d’être clôt.
Jacqueline Cimaz retrace la place de ces interventions au moment de l’accueil et excuse les personnes qui n’ont pu venir : Bernard Stora, Didier Tallagrand, Jean-Marie Mengin.
 Puis elle donne la parole à Béatrice Fleury qui précise  que son travail sur « la torture dévoilée » découle de recherches en continuité sur 10 ans sur la mémoire des immigrés en Lorraine, mémoire comportant une dimension privée importante qui croise une temporalité plus large. La qualification des lieux oscille entre oubli et résurgence chez les témoins. Trois aspects de l’évocation des souvenirs sont à noter :
1- L’émergence d’un témoin : comment ? pourquoi ?
2- Pourquoi on en parle ou pas ? (les facteurs humains)
3- Quels facteurs humains ou sociaux font (ou pas) que ce que dit un témoin incite un autre à s’exprimer à son tour ?
Cette recherche s’inscrit dans les « médiations mémorielles ». C’est un travail à la fois sur les médias et l’artistique
Jacques Walter intervient pour préciser que si la mémoire est très présente dans l’espace public il ne faut pas confondre mémoire et histoire, ce qui donne lieu à débat ; en tant que chercheur, on ne veut pas opposer mais plutôt comprendre le débat. L’historien rétablit les faits alors que « nous essayons de comprendre comment se reconstruit le passé avec les lunettes du présent »
Béatrice Fleury : « La torture dévoilée »
Pourquoi la guerre d’Algérie ? Ce choix découle d’une recherche plus large qui a débuté avec la culpabilité dans le cinéma allemand après guerre, puis avec la guerre du Golfe., débouchant sur une question essentielle : Pourquoi on ment ? Dans les repas de famille, beaucoup de choses se disent mais beaucoup ne se disent pas.
Il s’agit, dans l’exemple présenté, de faits relatifs aux tortures pendant la guerre d’Algérie, ayant eu lieu lorsque le témoin, Louisette, avait une vingtaine d’années mais divulgués plusieurs dizaines d’années après. La femme qui témoigne a attendu d’avoir 64 ans, que son père soit mort et que ses enfants soient élevés pour parler. Silence et zones d’ombre, inexactitudes dues à une mémoire trompeuse, pourquoi « ça » sort dans l’espace public à un moment donné ???
Béatrice retrace l’historique de la première publication due à la rencontre fortuite de deux femmes, Louisette  et Florence Beaugé (Louisette = Lila, appartenant au FLN est capturée par l’armée française, torturée jusqu’à ce qu’intervienne un médecin français  qui l’aurait sauvée de cet enfer et qu’elle  désire retrouver pour le remercier) puis l’enchaînement des événements et témoignages, controverses et polémiques de grande ampleur déclanchés dans les médias et les milieux politiques et militaires où l’on voit apparaître les noms de  Massu, Bigeard et Grazziani.
 C’est  l’Humanité qui va diffuser ce témoignage en plusieurs épisodes. Louisette est invitée à la fête de l’Humanité, Henri Aleg publie « La question » et Pierre Vidal Naquet « La torture dans la République ». Les journaux ouvrent leurs colonnes à des témoignages privés. Pourquoi ? Edwy Plenel, directeur de rédaction du Monde joue un rôle important dans la divulgation de ces témoignages. Lionel Jospin cherche l’objectivité dans le travail des historiens. Louisette révèle qu’elle a aussi été violée (ce qui explique probablement son si long silence). Le 31 octobre, c’est « l’appel des douze » qui demande à la France de reconnaître  ses crimes. Ce qui se dégage de cette effervescence : Nous devons témoigner pour l’Histoire.
 A droite on s’indigne que l’armée soit mise en cause, à gauche, on trouve qu’on ne va pas assez loin.
Quelques commentaires : ces événements interviennent au moment où la situation financière de l’Humanité est difficile. Ce dossier relance une régularité de lecture  qui lui est favorable et donne lieu à des publications sur ces sujets.
En conclusion, l’ampleur du débat eu lieu avec des circonstances temporelles particulière et le rôle d’amplificateur de certaines personnes, dont le général Aussares qui avoue la torture. En 2012, Louisette ne fait presque plus parler d’elle, les témoignages sont éclatés et divers, Florence Beaugé adopte une certaine réserve et l’effervescence à ce sujet est retombée.

C’est en début d’après midi que Jacques Walter  intervient  sur « la mémoire des génocides », précisant que le choix du sujet découle de l’histoire de sa famille implantée en Moselle non loin d’un petit camp (Neuebremm) datant de la guerre de 1870 mais utilisé pendant la dernière guerre de 39/45, pour des transits très courts, de 1 nuit à 3 semaines, une sorte de prélude à la déportation. En dehors d’ouvrages (une centaine) fournissant des témoignages il n’est pas possible de faire des recherches, les archives ayant disparu.
Peu de témoignages d’habitants, mais des figures comme  Edmond Michelet, ministre de De Gaulle, et surtout Jacques Bergier qui ont témoigné de leur passage dans ce camp.    
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     Bergier, assez tôt  résistant en région lyonnaise, arrêté à Villeurbanne et torturé par Barbie, est expédié à Mathausen ou il sera libéré le 5 mai 1945. Il transite par Compiègne et Neuebremm dont il parle, évoquant le petit bassin en son centre, autour duquel on faisait tourner les détenus.
Comment va-t-il raconter tout cela ? De 1945 à 2005, beaucoup de variété dans les récits. Le passage à Neuebremm apparaît comme une sorte d’initiation à l’univers concentrationnaire qui prend la forme d’un traumatisme. Le statut de victime, dû à la guerre, autorise la parole qui apparaît parfois contradictoire.
Michel Foucault dit : « Nous créons des régimes de véridictions (qui varient avec le temps) ». Il n’y a pas d’étanchéité entre les pôles hétérographique  et autobiographique. On constate que : « Je ne dis pas la même chose après avoir pris connaissance de récits de ma vie dits par d’autres ». Il y a nécessité d’un travail de compréhension sur la manière dont nous négocions notre rapport au passé.
Nous pouvons citer Marcel Hébert et le Colonel Rémy parmi ceux qui ont écrit à propos de Bergier. A la fois ingénieur chimiste, résistant et juif ses témoignages privilégient alternativement l’un de ces trois état comme motif de persécution. En ce qui le concerne on peut distinguer 3 étapes dans l’expression de ses témoignages :
1- Devant la commission d’enquête qui a lieu à la fin de la guerre son témoignage met l’accent sur les sévices subis en tant que résistant, plutôt qu’en tant que juif.
2- Au procès de Reichstadt, il explique qu’il a simplement participé à l’instruction débouchant sur l’exécution de coupables. Il se décrit comme  déporté politique « espion » et nie avoir donné l’ordre  de noyer un juif français dont on lui reproche la mort.
Puis il va appuyer son propre souvenir sur le témoignage du Colonel Rémy. C’est ce qui va devenir le marqueur de sa déportation. Dans sa publication de 1954, la tragédie de la déportation est construite sur le modèle du chemin de croix et il s’interroge et s’interrogera toute sa vie : « Pourquoi ai-je survécu ? » Il se réapproprie  son histoire, devient écrivain et témoigne de ce qui lui est arrivé. C’est d’abord parce qu’il est un « immense scientifique » qu’il a été torturé, puis parce que résistant puis enfin par ce qu’il est juif. Pour sa survie cela reste un mystère auquel il trouve des solutions. Les explications qu’il fournit vont s’amplifier jusqu’à sa mort, jusqu’à s’identifier au chef de son réseau.
Toutes ces étapes, qui font fluctuer les témoignages « premier jet », ceux rencontrés au travers d’autres témoins puis ceux « recomposés » à partir des souvenirs propres plus ou moins modifiés vers une version « provisoirement » définitive peuvent être considérées comme l’essai de gestion et de résolution des traumatismes subis .
A l’issue des présentations de  nos deux conférenciers, les débats avec la salle  sont ouverts  qui permettent à chacun d’exprimer, avec quelques questions, l’intérêt suscité par ces travaux croisés sous le signe des « Mémoires de Clandestinités ».
                                                                                                                                             Nicole Bertholon 25 avril 2015


lundi 8 juin 2015

Travail complexe d'une équipe riche et composite

- Artistes Didier Tallagrand, qui est aussi professeur de design d'espace à l'école supérieure d'art de l'agglo d'Annecy, Pablo Garcia, jeune artiste montpellierain ayant déjà travaillé avec Didier Tallagrand et interrogeant les utopies du 20ème siècle au travers des camps, vestiges de fortifications...
- ScientifiquesDelphine Forestier, doctorante travaillant les articulations artistique/scientifique sous l'angle de  l'apport de la photographie plasticienne à la conservation et à la transmission mémorielles.
Pierre Morelli, maître de conférence en sciences de la communication et de l'information, co-directeur du travail  évoquée, Jacques Walter et Béatrice Fleury, professeurs d'université (Université de Lorraine) et Jean Nicolas, historien, professeur émérite d'université. 
- Pour Les Rias : Ophelia Escriu, responsable de l'équipe (J.Cimaz, N.Bertholon... de formations universitaires et/ou artistiques à la fois plus spécialisées et plus polyvalentes.)